07/2010

Les arts électroniques et le sacré (Tome 2)

Des extraits de l’œuvre d’Alain Fleischer, Les hommes dans les draps, linceul numérique où se meuvent des traces d’humanité, ouvrent cette deuxième partie du dossier sur le sacré où il sera question, de la virtualité du sacré avec Pierre Ouellet qui interroge la puissance du croire et du créer, de l’analyse d’un film de Yang Fudong, empreint de rituels ancestraux, par Denyse Therrien, d’une réflexion sur les œuvres numériques de Charles Sandison et de Ni Haifeng par Claire Caland, d’une présentation d’un projet interactif par Ludovic Duhem et Bruno Abt, mais aussi de deux docu-vidéos, Casa et le Quat’sous, qui transcendent, l’un, le déménagement d’une maison, sinon sa résurrection, et, l’autre, la future démolition, sinon le sacrifice d’un théâtre, tous deux chargés de réminiscences symboliques. Et pour clore ce numéro, Louise Boisclair propose une analyse des processus interactifs dans des productions aux effets souvent magiques.


Les hommes dans les draps (extraits)


Afin de comprendre cette œuvre, nous sommes invités à nous représenter une chaîne de montagnes derrière laquelle le soleil se lève : dans la vallée, les ombres qui se projettent, font apparaître un visage d’homme de profil, qui finit par se déformer.

De la même façon, dans une chambre, au matin, le soleil qui se lève sur les plis et les replis d’un drap de lit, par l’anamorphose de tous leurs obstacles additionnés, fait apparaître et disparaître en ombres chinoises des visages d’hommes de profil.

Selon la configuration des plis, se forme chaque matin, dans les draps, la silhouette d’un visage différent, personnage déposé par un rêve et débusqué par la lumière…

Cinéaste, plasticien, photographe, essayiste, romancier, Alain Fleischer traverse l’histoire et parcourt le monde pour en filmer le devenir. Il a réalisé près d’une centaine de films (dont Zoo zéro avec Klaus Kinsky, 1978, Le Louvre imaginaire, 1993, Le roi Rodin 2001-2002...), d’innombrables expositions dont plusieurs rétrospectives (Musée national d’Art moderne de Paris, 1975, 1982, Centre Pompidou 2005 etc.) , de nombreux essais (L’accent. Une langue fantôme, Seuil, 2005, L’art d’Alain Resnais, Éd. du Centre Pompidou, 1999...) et romans (Descente dans les villes, Fata Morgana, 2009...). Il est Fondateur et directeur du Fresnoy (www.le-fresnoy.tm.fr/) à Tourcoing. On lui dit doit la projection de vidéos Dans la nuit des images dans la nef du Grand Palais à Paris en 2008 et sa dernière grande installation vidéo Choses lues, choses vues à la bibliothèque Richelieu (Paris 2009).


ARTICLES

Fictions du sacré. Puissance du croire et du créer dans le monde de la virtualité

Pierre Ouellet

Aujourd’hui où tout se « dématérialise », sans pour autant se « spiritualiser », comme on le constate dans les arts médiatiques ou électroniques, où l’évanescence du virtuel et le caractère réticulaire du web échappent à toute substantialisation, individuation ou actualisation, autrement que de manière illusoire ou éphémère, la question de ce qui est partout et nulle part à la fois se pose de nouveau avec insistance : le statut ontologique d’œuvres de création qui ne reposent plus sur le simple don d’une forme intelligible à une matière sensible ou l’existence phénoménologique d’expériences artistiques qui ne dépendent plus de la coprésence réelle, physique, tangible, d’un sujet ou d’un objet donnés dans un espace-temps dont les coordonnées peuvent être univoquement fixées… poussent chacun à se demander de quoi est peuplé ou par quoi est hanté l’énorme vide laissé par la « volatilisation » de toute icône, idole ou fétiche, qu’on éprouve déjà dans les installations lumineuses d’un James Turrel ou d’un Olafur Eliasson, qui préfigurent les modes de « disparition » et de « dispersion » de l’être qu’explorent les arts du web en privilégiant l’ubiquité, l’utopie ou l’uchronie d’une donation qui ne se traduit nulle part en don, qui ne se trahit jamais en un présent, sacrifiant l’incarnation ou la manifestation sensible à une Idée en quoi elles se résorbent tout entière comme toute chose et toute personne se résolvent en Dieu. Nous explorons dans les pages qui suivent les modalités propres à ce nouveau « sacré » dans lequel la fin du religieux promulgué par nos sociétés hautement technologisées semble retrouver le commencement et la genèse du croire et du créer qui sont au fondement de toute pratique artistique conçue comme la transformation de l’Impossible en Tout-possible. [suite...]

Yang Fudong –  la quête et le sacrifice

Denyse Therrien

Ce texte analyse Seven Intellectuals in Bamboo Forest du cinéaste chinois Yang Fudong. Il s’agit d’un véritable oratorio filmique en 5 parties, tourné en 35 mm noir et blanc, entre 2003 et 2007. Film vidéo qui interroge la situation des jeunes intellectuels dans une Chine en mutation dans une esthétique de l’ascèse, dans un genre qui reste à définir, sorte de méditation dans le silence mais sans recueillement. [suite...]

Tabula Vocis

Ludovic Duhem et Bruno Abt

Tabula Vocis est une sculpture sonore interactive dont l'objectif est de susciter une situation contemplative, mystérieuse et poétique, tel un monument mégalithique qui à l’approche d’une personne se mettrait à vibrer de manière magique en faisant pénétrer l’« intrus » dans un monde hors de l'affairement quotidien. [suite...]


HORS-DOSSIER

Qu’est-ce que l’interactivité modifie dans notre appropriation des images ?

Louise Boisclair

L’art Net, les installations interactives et les performances assistées par l’ordinateur et ses dérivés sollicitent la vue comme le dessin, la peinture, la sculpture, la photo et le cinéma, toutefois elles dépendent essentiellement d’opérations reliées au toucher, à la présence du corps, à son déplacement ou à sa gestuelle. Ce couplage entraîne une expérimentation où l’acte contemplatif est modifié, parfois interrompu, par l’opération interactive qu’il importe de saisir pour l’effectuer et, éventuellement, l’interpréter. Il importe également d’en saisir l’impact sur notre mode d’être, de voir et de comprendre. [suite...]

Rédactrice : Christine Palmiéri.
Webmestre : Jason Martin.