Mythographies web : fabrications d’identités

Joanne Lalonde


L’art hypermédiatique est propice à la diffusion de leurres de toutes sortes : personnalités multiples et troubles, marché du corps, journaux intimes où fiction et réalité s’entrecroisent. À l’ère du sujet tragique, tiraillé entre les multiples investigations du soi, le Web apparaît comme un lieu où les identités sont plus que jamais dynamiques et variables, identités des sujets mais aussi des supports et des genres. C’est le règne de la mythographie, écriture visuelle ou littéraire de la projection fantasmatique d’un sujet permettant de multiplier ses extensions identitaires, où les propositions sont subversives et permettent une redéfinition critique de nos certitudes.

Rappelons qu’une portion importante des productions d’art médiatique intègre un aspect d’autoreprésentation, réelle ou fictive. Que ce soit par l’obsession de l’autoportrait ou par la construction d’un alter ego fictionnel, les représentations véhiculées par les arts médiatiques instituent cette relation particulière avec le spectateur qui le renvoie à sa propre condition de sujet existentiel mais aussi, à son statut de sujet culturel.

Une des hypothèses parmi les plus intéressantes de révision de la perspective psychanalytique est celle accordant au “ conflit narcissique ” (c.a.d les tensions et rivalités entre l’ego et la représentation que celui-ci se fabrique de lui-même) une dimension aussi importante que celle que Freud reconnaissait au “ conflit oedipien ” 1. Dans une société régie par une morale rigide, il était cohérent de penser les conflits psychiques en fonction de la répression de désirs. Mais, les grands changements survenus dans nos repères identificatoires au cours du siècle dernier ne pouvaient demeurer sans conséquence.

Comme l’image de soi se développe dans un contexte social qui véhicule des modèles et des types conventionnés, cette image évoluera nécessairement selon le contexte. N’est-il pas alors plausible de penser la perte de repères identificatoires comme siège d’une nouvelle inquiétude dont témoignerait certaines oeuvres hypermédiatiques?

Le sujet coupable cède la place à un sujet tragique, habité par un malaise existentiel, par des problèmes d’accomplissement et d’image de soi, qu’il tentera de transcender par la mise en représentation de ses identités variables.

Les différents projets de mise en représentation de soi qui prolifèrent sur le Web (par exemple ceux de JenniCAM et de Natasha Merit) en sont des exemples éloquents. Mise en scène continue de l’image de l’artiste et de son intimité, ces œuvres témoignent autant de la fascination de l’artiste pour sa propre image que de celle du spectateur pour le personnage hypermédiatique. Mythographies narcissiques qui agissent à la fois comme outil d’investigation et de projection de soi.

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NOTE(S)

1 Voir Jean-Claude Stoloff, Interpréter le narcissisme, Paris, Dunod, 2000, 163 p. L’auteur examine la pertinence de ce glissement où la psychanalyse actuelle ne serait plus exclusivement préoccupée par le sujet coupable de Freud, prisonnier de conflits entre pulsions et interdits, mais également par le sujet tragique, habité par une malaise existentiel et des problèmes d’accomplissement et d’image de soi.

2 Ces éléments sont des marqueurs de genre, ils déterminent chacun des pôles sexuels et sont anatomiques ou culturels.

3 Holly Devor, Gender Blending, Bloomington dans Indianapolis, Indiana Unversité Press, 1989, 178 p.

4 Je préfère cette expression à l’étiquette post-humaine à mon avis trop restrictive car trop axée sur les interactions corps-machine et annonçant un changement d’époque. Jeffrey Dritch désignait par là (exposition Lausanne 1992) l’achèvement historique de l’ère de l’humanité et de son corollaire éthique, l’humanisme et son possible dépassement en un futur qui verrait déployer de nouvelles formes de conscience et de corps mutant. Voir à ce propos le livre de Dominque Baqué. Mauvais genre, Du Regard, 2002.

5 Teresa De Lauretis indique que toutes les sphères de la société participent à la construction du genre. « [...] the construction of gender also goes on, if less obviously, in the academy, in the intellectual community, in avant-garde artistic practices and radical theories, even, and indeed especially in feminism... », op. cit., p. 3

6 Judith Butler, Gender trouble, New-York, Routledge, 1990, 172 p., « As an effect of a subtle and politically enforced performativity, gender is an "act", as it were, that is open to splitting, self-parody, self-criticism, and those hyperbolic exhibitions of the "natural" that, in their very exaggeration, reveals its fundamentally phantasmatic status » p. 146-147.

7 Judith Butler parle de paramètres politiques, Gender trouble, op.cit., p. 32

8 Voir à ce propos voir Garber, op. cit., p. 149 ainsi que Chris Straayer, Deviant eyes, deviant bodies. Sexual re-orientations in film and video, N.Y., Columbia University Press, 1996, p. 349, p. 69).

9 Linda Hutcheon, A theory of parody, New-York et Londres, Methuen, 1985.

10 Dot Tuer « Video in drag : Trans-sexing the Feminine », Parallelogramme, vol. 12, no. 3, février-mars 1987, p. 24-29.

 

NOTICE BIOGRAPHIQUE

En mai 2003, dans le cadre du 71e Congrès de l’ACFAS, s’est tenu le colloque « Enjeux actuels de l’art web » dont les actes sont publiés dans le présent numéro d’archée. Ce colloque réunissait des chercheurs, artistes et critiques s’intéressant aux stratégies artistiques des productions hypermédiatiques et proposant des réflexions esthétiques visant à les inscrire dans l’histoire de l’art comme point de continuité et/ou rupture.
Le colloque Enjeux actuels de l’art Web a été parrainé par Groupe de recherche sur les œuvres hypermédiatiques de l’UQAM.

 

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