Les Dispositifs Coopératifs, prospective 21e siècle
Jérôme Joy
section cybertheorieLInternet, cest lintelligence distribuée
et la conscience partagée
Derrick De Kerckhove
De plus en plus vont se développer les dispositifs collectifs et coopératifs en tant que nouveaux contextes de production artistique. Ceux-ci prennent naissance dans ce que nous pourrions appeler la révolution numérique et le développement en réseau porté par cette révolution. De nombreuses pratiques artistiques actuelles empruntent, se ressourcent et se ré-interrogent par limprégnation et la proximité de ces mutations informationnelles. Cette perméabilité presque naturelle me semble plus intéressante que de consacrer une opposition entre "anciennes pratiques" et nouvelles pratiques (1).
Ce
sont les notions datelier et de présentation qui sont principalement mises
en jeu. Latelier (homestudio) deviendrait donc un espace de connexions,
ce quil a toujours été, et quitterait cette image quelque peu confortable
du chaudron personnel, dépositaire du génie singulier.
En conséquence, les pratiques traditionnelles de monstration et les conditions
régissant la diffusion des oeuvres, et ceci quelque soit le domaine artistique,
semblent nêtre plus adéquates aux langages développés aujourdhui,
ceux-ci utilisant des éléments de plus en plus dématérialisés, immergés, non-spécifiques
et engagés dans des principes de réalité (même sils peuvent
emprunter encore à la production fictionnelle). Cest ainsi que les territoires
dinvestigation artistique se sont déplacés, le plus souvent sans volonté
péremptoire de légitimation et didentification, sous la forme de dispositif.
Ceci a engagé des activités de diffusion et de circulation artistique qui seraient
de moins en moins assurées par une stratégie culturelle ou par un consensus
de marché, éléments prédominants pour un lieu dexposition ou une programmation
de concert par exemple, car les artistes impliqués dans ces nouvelles attitudes
trouveraient des relais plus adaptés et moins exclusifs dans des domaines périphériques
adjacents au champ plus ou moins ésotérique de lart et de la musique.
Le développement polysectoriel de linformatique et plus particulièrement de la télématique a permis à ces pratiques de retrouver des relations directes et horizontales avec les contextes sociétaux à tous les niveaux (social, économique, politique, etc.), et ainsi dinduire de nouvelles implications et enjeux (2).
Ces territoires dinvestigation favorisent lémergence et le déploiement de dispositifs coopératifs, dune part dans le sens où une activité artistique sopère sur un hypertexte de ressources (ses provenances, ses référents, ses contextes dapparition, ses objectifs, ses impacts, etc.) (3), et dautre part, dans le sens où la légitimation institutionnelle, tutélaire ou corporatiste ne semble plus la condition sine qua non du développement des activités artistiques, et quenfin l'ouverture pertinente de nouveaux territoires favorise la coopération par la demande d'échanges communautaires et de recherches de nouvelles émulations et par les solutions inédites partagées que ceux-ci apportent à des besoins qui semblent pour l'instant isolés (4). Ceci est dautant plus remarquable si ces pratiques artistiques privilégient des interactions plus larges (nous pourrions dire exogènes aux codes acceptés) ou bien encore si lobjet de celles-ci devient la prise en responsabilité dun espace inédit de travail correspondant à un objectif commun (à limage dun forum), en sollicitant la coopération dun groupe de pairs dans un espace limité, ou bien encore si est convoquée la simultanéité dactions menées par plusieurs utilisateurs (acteurs et consommateurs) en préservant ou non lintégrité et lidentité de chacun deux, sous forme de systèmes auto-organisationnels, résistants aux contextes traditionnels et aux modèles représentationnalistes.
Ces dispositifs coopératifs semblent profondément ancrés dans des modèles issus de la culture informatique et du réseau internet. Le modèle le plus évident semble le forum, augmenté dune capacité de réalisation, que nous pouvons qualifiée de collecticielle. Le dispositif collecticiel apparaît donc autant comme un dispositif de diffusion et de présentation quun dispositif de production.
Le
projet Collective JukeBox (5) tente de mettre en place un tel
laboratoire et lactive depuis 1996. Le dispositif (un fonctionnement contributif,
l'absence de sélection, la machine jukebox) et lorganisation de celui-ci
demande le suivi de règles communes assez précises (charte générale de coopération
à limage dune licence publique de logiciel) afin de
déterminer les fonctionnements communs, de modérer et de favoriser les activités
et la circulation du projet global, sans les circonscrire dans un champ spécifique
ou sélectif. Ceci est opérant sans autorité avec lanimation par un ou
plusieurs modérateurs, chaque participant mesurant son degré dimplication
dans le projet. Collective JukeBox est ainsi défini comme un dispositif coopératif
évolutif, libre et ouvert. Lun des modèles que poursuit ce projet est
celui dun environnement "collecticiel", dun espace partagé, augmenté,
évolutif et critique, modulable par les participants eux-mêmes.
Puisque nous avons remarqué que le développement dun tel projet semblerait proche de modalités de fonctionnement du monde informatique, il serait intéressant de se pencher sur les développements des logiciels libres ou en dautres termes de lOpen-Source, en tentant de dégager les pertinences et les similitudes avec les activités artistiques sur les questions de modalités de fonctionnement et de production, en sachant que ceci demande des recherches appropriées et une lucidité accrue afin d'éviter de faire des amalgames et des transposition trop hâtives.
Ma réflexion se porte ainsi sur le développement de ces espaces critiques accompagnant les technologies numériques, en dehors de définitions telles que la création collective ou bien encore les spécificités de lart numérique. Ces notions esquissées ici se développent en remettant en jeu presque systématiquement ce que nous identifions en tant que statut doeuvre et statut dartiste, et donc questionnent indubitablement les conditions de présentation de lart.
NOTE(S)
(1) Ou bien encore de légitimer le contexte entropique économique (copyright et droits dauteur, contexte de compétition, génie individuel, rareté de la source originale, effets de médiatisation, spectacularisation, principes de reconnaissance, historification, etc.) .Se reporter ici à lactualité (taxes, Napster, Altern, etc.) et aux livres de Yves Thiran Sexe, mensonges et internet, Ed. Castells Labor 2000 et de Mona Chollet Marchands et Citoyens, la guerre de linternet, Ed. LAtalante.
(2) Même si ces pratiques utilisent ces technologies de manière analogique ou métaphorique, voire même sur les résultantes des mutations amenées par ces technologies (démocratisation, responsabilisation, participation, partage de ressources, circulation sous différents formats, les principes derreur et de vitesse déxécution, intégration et unification des étapes autrefois différenciées et relayées de la production, de la réalisation, de la transmission et de la diffusion dune activité artistiques, la programmation, léchantillonnage, la construction dinterfaces et dextensions, la duplication, lidentification/non-identification, etc.).
(3) Maria Wutz, LArt World Wide Web, juillet 1995. http://www.labart.univ-paris8.fr/Actes/Maria.html
(4) Coopération et production immatérielle dans le logiciel libre par Laurent Moineau et Aris Papathéodorou de Samizdat. http://www.samizdat.net/zelig/news.php3?detail=n971601880.news
(5) http://homestudio.thing.net/ et http://jukebox.thing.net/ pour la description et les informations sur le projet Collective JukeBox.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Le site de Jérôme Joy : http://homestudio.thing.net/
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